- BOGOMILES
- BOGOMILESLe mouvement bogomile (du nom de son fondateur le prêtre Bogomil) a pris naissance au Xe siècle en Bulgarie. Il s’est propagé dans les pays balkaniques avant de s’étendre dans l’Empire byzantin.Théologie et vie des communautésCe système dualiste est fondé sur l’opposition entre la lumière et les ténèbres correspondant au Bien et au Mal. On retrouve ainsi les thèmes des anciennes gnoses telles qu’elles se présentaient chez Basilide et Valentin et telles que, de temps à autre, elles ont surgi sous des revêtements divers au cours de l’histoire. Ainsi les messaliens et les pauliciens, répandus dans l’Empire byzantin, ont contribué à former la pensée des bogomiles. La doctrine est toujours identique: opposition à l’Église officielle, refus des trois sacrements (baptême, eucharistie et mariage), du temple et des images, et en particulier de la vénération de la croix. Optant pour l’Évangile et refusant l’Ancien Testament, le dualisme, inhérent à toute gnose, est absolu ou mitigé. Toujours jugée mauvaise, la création est l’œuvre d’un Dieu obscur à laquelle ne saurait participer le Dieu bon.En Bulgarie, l’extension de la doctrine bogomile sera favorisée par les conditions économiques et sociales. La classe paysanne, souvent exploitée par la noblesse et le haut clergé, s’insurge contre le luxe, la débauche et les privilèges de ceux qui la gouvernent. Très vite, la masse des adhérents bogomiles oubliera les principes fondamentaux de sa foi. Deux catégories de fidèles se distinguent: d’un côté les théoriciens, de l’autre les disciples, souvent infidèles à leur religion. Les premiers sont fréquemment d’anciens prêtres qui ont quitté leur Église afin de mener une existence plus austère. Leur désir de pauvreté et de pénitence les conduit à opter pour un ascétisme plus rigoureux. Théologiens, ils présentent une doctrine cohérente comprenant une cosmologie et une eschatologie. Peu nombreux, ils ne se livrent à aucun travail manuel et demeurent chez leurs disciples. Leur prédication fervente leur assure des adeptes. En dehors de ces «parfaits», irréprochables dans leurs mœurs, se présentent les auditeurs, animés par leurs revendications économiques plus que par des principes religieux. Leur vie n’est pas rigoureuse et leur désordre accrédite les jugements de leurs adversaires. Le concile tenu à Tarnovo (1211) contre les bogomiles, considérés comme hérétiques, est suggestif à cet égard. Si les parfaits refusent de répandre le sang, même pour se défendre, les adhérents bogomiles n’hésitent pas à tuer pour s’emparer des biens de ceux qu’ils considèrent comme leurs persécuteurs. Soutenue par le pouvoir temporel, l’Église persécutera, quant à elle, ceux qu’elle juge hérétiques.Les bogomiles se maintiendront durant cinq siècles. Aux XIe et XIIe siècles, le peuple bulgare subira la domination de Byzance, et cette nouvelle situation politique favorisera le développement des bogomiles qui s’élèveront à la fois contre l’Église et la domination étrangère.Expansion en Asie et en EuropeL’écrivain byzantin Michel Psellos, dans son traité sur «l’action des démons», et le moine Euthyme de Péribletes fournissent de précieux renseignements sur le développement des communautés bogomiles en Thrace et en Asie Mineure. Répandus dans l’Empire byzantin, les bogomiles subissent de sanglantes répressions. Le grand prédicateur Vasili périt sur le bûcher. En s’intensifiant dans l’Empire byzantin, la propagande bogomile va atteindre de nouveaux adeptes. Ce ne seront plus les paysans bulgares, mais les citoyens des grandes villes byzantines. Aussi le mouvement cesse-t-il d’être antiféodal dans un pays où la vie est facile et le commerce florissant. À Constantinople, des membres du haut clergé, conquis par un rituel simplifié, adoptent la doctrine dite «hérétique» et des monastères eux-mêmes y adhèrent.La pensée bogomile progresse. Dès la fin du XIIe siècle, elle gagne la Serbie, et, comme jadis en Bulgarie, ses adeptes font leurs les revendications antiféodales des populations. Le traité de Cosmas contre les bogomiles dénonce les propos des prédicateurs et les attitudes des fidèles qui s’opposent non seulement au pouvoir temporel de l’Église, mais aux personnalités de la hiérarchie religieuse et laïque. Les synodes, suivis de persécutions, n’arriveront pas à détruire la doctrine «hérétique». Dans les pays où se propage le mouvement, les mécontents de tous ordres adoptent volontiers une doctrine qui toujours attaque les détenteurs du pouvoir.Mis à part les particularités qui s’expliquent par les systèmes politiques et économiques des pays où ils se propagent, les structures propres au mouvement bogomile restent assez indifférenciées. Leurs communautés évoquent les groupes chrétiens des premiers siècles que nous décrivent les Actes des Apôtres et les Épîtres de Paul. On y relève toujours une ferveur et un sens de la prière communautaire, une humilité qui s’affirme dans des confessions réciproques. Les «auditeurs» deviennent des «croyants» et ces derniers sont appelés «parfaits» quand ils ont donné les preuves de leur rigueur et de leur sagesse. Les différents groupes bogomiles, unis par des liens étroits, se soutiennent mutuellement. La vie des adeptes est très difficile, il leur faut, en raison des persécutions, mener une existence secrète. Seule l’Église Patarine, en Bosnie, jouira d’une liberté toute relative. Quand l’hérésie se propagea en Europe: en Russie, en Italie du Nord, dans le sud de la France, les problèmes soulevés par les bogomiles seront plus complexes; ils manifestent une opposition toujours dirigée contre l’Église.Le mouvement bogomile balkanique a-t-il marqué de son empreinte les divers mouvements gnostiques de l’Europe médiévale? Le souci d’un retour à la source primitive du christianisme, le rejet d’une Église possédante, et qui par là même risque d’oublier sa mission, provoquent un mouvement d’idées et un comportement identiques. On peut donc parler au plus d’influence réciproque. Jamais la gnose n’a été entièrement détruite et il a souvent suffi d’une occasion pour la faire resurgir.
Encyclopédie Universelle. 2012.